Comme tu le sais surement, je suis en ce moment en pleine lecture du tome 2 de Du champagne, un cadavre et des putes, de Tristan-Edern Vaquette (pas cher, achète-le... non mais achète-le vraiment), et, au détour d'un chapitre flamboyant traitant de la bourgeoisie culturelle, me saute aux yeux cette citation de Lawrence, l'un des personnages principaux:
D'ailleurs, écoutez avec quel paternalisme un éditeur ou tout autre professionnel de ce monde explique doctement à l'indigène présent dans son bureau comment, sans lui, il n'arriverait à rien parce que, tout de même !, écrire un livre ou un film ou des chansons ou... - ce que vous voulez -, convenons-en, c'est une activité très peu sérieuse que chacun peut plus ou moins exécuter pour peu qu'il ait du temps à perdre - la preuve, il y en a cinquante derrière la porte qui ne rêvent que de signer chez nous !... -, mais commercialiser cela !, ça !, c'est un vrai travail qui exige des compétences, et même un talent !, autrement plus difficiles à acquérir (...)
Suivi peu après de ceci, histoire d'enfoncer le clou :
(...) je n'oppose pas ceux qui, par exemple, écrivent des livres à ceux qui les éditent, ce serait bien trop simple ! Parce que la plupart de ces gens qui écrivent des livres ou qui réalisent des films, des disques, des spectacles, des tableaux ou des installations, tous..., à de rares exceptions près, n'ont pas plus que les professionnels de ces milieux l'âme artiste. (...) combien parmi eux ont, ne serait-ce qu'une seule fois dans leur travail, tenté de partir où personne ne part ?
Et me voilà encore une fois à me dire qu'en quelques mots (voir un peu plus, l'auteur est bavard) Vaquette résume parfaitement ce qui cloche dans le conformisme culturel actuel. Celui qui englue les auteurs et les fait, volontairement ou non, ressasser à l'envi les mêmes idées, réécrire les mêmes histoires, raconter les mêmes aventures. Celui qui fait utiliser les mêmes structures de phrases aux jeunes auteurs, les mêmes tropes, les mêmes clichés...
Dans un récent article, l'auteur Ploum s'inquiète, à mon avis à juste titre, de voir des intelligences artificielles s'attaquer à la "création artistique", arguant que leur mode de fonctionnement même fera qu'il ne s'agira que d'offrir de maigres variations sur les données qu'elles récupèrent, sans apporter d'idées nouvelles.
Je m'inquiète pour ma part de voir déjà ceci arriver depuis des années dans l'édition traditionnelle, sans que l'informatique n'ait besoin de s'en mêler. Toujours les mêmes autofictions, les mêmes romances fantastiques, les mêmes drames familiaux ou thrillers ésotériques, les mêmes histoires "à la Tarantino"... toujours les mêmes recettes, déclinées jusqu'à l’écœurement, les mêmes facilitées, les mêmes rebondissements...
Combien de fois ai-je eu l'impression de lire un livre "calibré" faisant exactement le bon nombre de pages, de chapitres, ayant la structure parfaitement attendue pour, non pas être réel, mais plutôt être "efficace"?
Combien de fois (et c'est encore pire pour moi) ai-je eu l'impression que l'auteur ne me disait pas ce qu'il voulait, mais ce qu'il pensait que je souhaitais lire ?
Combien de fois ai-je eu l'impression (summum de la faiblesse) que l'auteur s'attachait plutôt à dire ce qu'il pensait être le plus justement établi, pour ne se fâcher avec personne, ou, au mieux, se fâcher avec le moins de monde possible, répéter les poncifs admis, être correct, pour rester fréquentable, ne surtout pas soulever de polémique ?
Faire bien, être du bon côté, brosser le milieu dans le bon sens, ne surtout pas faire de vagues...
Combien de fois ai-je donc commencé un livre qui m'a paru insipide, convenu et prévisible ?
Beaucoup trop de fois. Surtout quand j'étais libraire.Trouver une perle au milieu d'une production éditoriale aussi insipide que prolifique relevait parfois du miracle. Beaucoup trop de fois ces livres se sont retrouvés avoir beaucoup plus de visibilité qu'ils ne le devraient en étant dans le "juste", le "correct" plutôt que dans le vrai, ou dans le beau.
Heureusement il est toujours possible de trouver des perles, surtout en s'éloignant de la production usuelle, sinon je ne pourrais pas te présenter un livre chaque semaine ou presque.
Sois certain, cependant, que nombre de livres que je lis ne finissent pas sur le blog...
Sois certain aussi, que certains éditeurs sont moins frileux, moins en recherche de facilité, et que certains auteurs, plus audacieux, sont déjà des artistes, ou le seront bientôt.
Et si les éditeurs n'arrivent pas à suivre les auteurs trop atypiques, d'autres voies existent.
Il est cependant bien triste que certaines parutions soient si confidentielles...
Pour ma part, je ne peux que te conseiller de lire par exemple Michael Roch, sa poésie brute et sa maîtrise des mots, Kylie Ravera, et sa série de 7+1+1 romans comiques, scientifiques, policiers, initiatiques, d'espionnage, politiques, d'amour, d'horreur, Helkarava, son trait unique baroque et grotesque, et tant d'autres, enfin, et tous ceux que je n'ai pas encore découverts...
Et bien sûr n'oublie pas de lire Tristan-Edern Vaquette, pour sûr... de mon côté, j'y retourne...