Au printemps des monstres

On ne saura certainement jamais ce qui est vraiment arrivé à Luc Taron. Tout ce que l'on peut dire, c'est que Lucien Léger à été condamné - et a passé plus des trois quarts de sa vie d'adulte incarcéré - sans preuve, sans témoin, sans mobile. Hormis ce qu'il a lui-même écrit pendant quarante jours délirants alors qu'il était certain de n'être jamais pris, pas la plus infime preuve, pas le moindre témoin, pas l'ombre d'un mobile. Ce que l'on peut dire aussi, c'est que si tout, de loin, paraît finalement à peu près simple, rien ne l'est. Vraiment rien.

Quel plaisir de retrouver l'écriture unique de Philippe Jaenada depuis tout ce temps. Poursuivant dans son exploration des faits divers, il s'attaque cette fois-ci à une affaire aussi sordide que marquante : l'affaire dite "de l'étrangleur" qui a occupé les gros titres des journaux en 1964. L'histoire débute par la disparition du jeune Luc Taron le 26 mai 1964. Il sera retrouvé mort le lendemain dans les bois de Verrières-le-Buisson dans l'Essonne. Elle se poursuit par l'envoi de 55 lettres anonymes dans lesquelles celui qui se surnomme "L'étrangleur" revendiquera le crime et réclamera des rançons pour éviter une récidive. Les soupçons finiront par se porter sur Lucien Léger, confondu comme l'auteur des lettres, avouant le crime puis se rétractant. Il sera condamné en 1966 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il avait alors 29 ans. Il sera libéré en 2005, à l'âge de 68 ans, faisant de lui le plus ancien prisonnier de France.

Rien n'est simple dans cette histoire, comme le dit si bien Jaenada. Vraiment rien. Il n'aura de cesse, pendant les plus de 700 pages que comptent ce livre, de revenir avec une précision chirurgicale sur l'ensemble de l'affaire, des grands faits aux plus infimes détails, avec l'excellence du travail de documentation dont il fait toujours preuve, aérée par toutes ses digressions autobiographiques qui font tout le sel de ses romans. De ce travail colossal, il tire un portrait vibrant de la France des années 60 qui nous est contée dans tous ses paradoxes. S'attaquant un à un à l'ensemble des protagonistes de cette affaire, il ne cesse de démontrer la lâcheté, la veulerie qui sont des traits communs à beaucoup d'entre eux. Il est évident qu'au fil de la lecture, une nouvelle interprétation de ces évènements nous est présentée. L'auteur pointe toutes les incohérences, toutes les failles qui font de ce dossier quelque chose de bien plus complexe que ce qu'on a voulu nous faire croire. Passionnant, oui, abjecte aussi quand on sait que cela a conduit Lucien Léger à passer plus de 41 ans incarcéré. Triste palmarès.

Malgré une certaine baisse de rythme au milieu du récit, Au printemps des monstres est un livre très addictif, formidablement précis et magnifiquement écrit. Particulièrement éprouvant quand il s'attarde sur les pires travers des hommes, il finit cependant de façon assez lumineuse. J'ai vraiment apprécié retrouver Philippe Jaenada, dont le style unique réussit toujours à m'accrocher superbement.

Au printemps des monstres
Philippe Jaenada
Mialet-Barrault

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